REFLEXIONS SUR L’HABITAT MODERNE

Du 1 novembre au 31 janvier, j’ai réalisé une longue marche de Pontcharra à Bruxelles pour confronter mes idées sur un nouveau modèle de société appelé le SOLIDARISME. Je venais de terminer un ouvrage sur ce thème, un ouvrage que j’avais intitulé Ecologie et Solidarisme. Un projet de société pour le bonheur de l’homme. Après la traversée de la Chartreuse pour éviter les grands axes, j’apportais à Grenoble le premier manuscrit destiné à la maison d’Editions Le Mercure Dauphinois. Puis je continuai mon chemin à travers la pointe du Vercors, les Chambarans, les Monts du Nord Isère, le Morvan et les grandes forêts du bassin parisien. De retour au Vieux Moulin de Pontcharra et dans mon jardin des Gorges du Bréda le long duquel passait tranquillement, autrefois, le petit train du P.L.A., je prends le temps de réfléchir sur mes observations de promeneur solitaire au long cours. Depuis l’époque où les passagers du tramway pouvaient observer à loisir les gens qui s’activaient dans les champs, les vignes et les jardins tout en prenant le temps de se rencontrer et de se parler, une très grande évolution s’est produite inexorablement. Elle a provoqué des transformations très importantes, particulièrement en ce qui concerne l’habitat lié au mode de vie. Autrefois, l’activité était assez bien répartie entre les villes et les campagnes. On profitait du moindre lopin de terre et les gens se rencontraient sur les lieux de travail. Dans notre vieux moulin, à la sortie de Pontcharra, les paysans venaient avec leur blé, leur maïs ou leurs cerneaux de noix. Sur les murs des bords du Bréda, des anneaux témoignent encore de leurs habitudes d’attacher leurs bêtes, surtout les jours de marché. Dans les rues, c’était un va et vient incessant de clients des très nombreux commerces de la ville. Aujourd’hui, la vie a bien changé. Dans mon jardin des Gorges, on ne se rencontre plus. Un défilé interminable de véhicules filant à toute vitesse répand un tonnerre de bruit qui remplit toute l’étroite vallée. Et moi qui désire un jardin écologique sans traitement ni engrais chimiques mais à base de méthodes de culture plus favorables à la santé, je déplore les effets que peuvent avoir les émanations des ces véhicules en si grand nombre... Et je me dis que tout cela résulte d’une transformation très importante de l’habitat, soit au niveau localisation, soit au niveau finalisation. Au niveau localisation: Depuis l’avènement de la motorisation, l’habitat s’est de plus en plus éloigné du lieu de travail. Il s’est concentré dans des zones d’habitation constituées d’immeubles ou de lotissements pavillonnaires ou comprenant de nombreuses maisons individuelles. Les villes se sont agrandies de tous côtés le long des routes, puis les villages ont suivi la même voie. Au niveau finalisation, l’habitat moderne n’est plus du tout relié à une activité. Il a une pure fonction de logement et le travail; les activités scolaires, commerciales ou de loisir se passent ailleurs, souvent très loin. Sociologiquement, l’homme se croit plus libre, indépendant de ses voisins, du qu’en dira-t-on et de la promiscuité sociale qui marquaient la vie des villages ou des petites villes. Cependant, on se met à découvrir le revers de la médaille: la dépendance de la voiture et des transports, la pollution, le bruit, une agitation incessante et la perte de temps et d’argent que représente ce nouveau genre de vie trépidante qui nécessite beaucoup de besoins, financiers et autres. Si l’on fait le bilan, a-t-on vraiment gagné en qualité de vie? En traversant à pieds de nombreuses régions, en France et en Belgique, je me suis rendu compte des disparités énormes qui se sont créées du fait de l’exode rural. Disparité entre les villes surpeuplées et les campagnes désertes. Près des villes, une énorme concentration d’habitations dans certaines zones, d’autres concentrations commerciales ou artisanales ou industrielles en d’autres endroits. Non seulement ces cloisons étanches créées entre les différentes activités humaines génèrent un trafic incessant, polluant et destructeur de nature, mais il établit un contraste étonnant entre des régions qui présentent une suractivité fébrile et malsaine et d’autres régions immenses vidées de leurs habitants. Notre région de Rhône-Alpes me paraît encore bien animée et diversifiée quand je la compare aux zones viticoles du Beaujolais ou du Mâconnais, aux zones d’élevage de Saône et Loire ou du Morvan et aux zones de grandes cultures du Bassin parisien et du Nord. Plus de vie dans ces zones rurales et les villages traversés sont morts. Beaucoup d’anciennes fermes des régions désindustrialisées du Nord sont reprises par des installateurs de clôtures, de fermetures ou de volets métalliques qui font des affaires car le souci d’aujourd’hui est la sécurité et les gens s’enferment de plus en plus. Mon diagnostic, c’est que notre société moderne a fait fausse route en s’éloignant de la nature pour se concentrer dans des zones très denses en créant des structures de plus en plus grandes pour une vie toujours plus artificielle. Ce mode de vie est imité à des échelles encore beaucoup plus importantes dans les pays émergents, comme en Chine ou en Amérique du Sud, sans aucune régulation. Là se trouve le plus grave danger pour notre planète. C’est pourquoi l’Europe qui est, avec l’Amérique du Nord, à l’origine de ce grand développement se doit d’être à la pointe d’un changement de perspectives. J’en fais la proposition à travers mon livre. Le salut ne peut venir que d’un autre progrès, non pas matériel avant tout, mais dans la qualité de vie en se rapprochant de la nature, en récréant un autre tissu de vie sociale, dans d’autres formes d’activités plus humaines comme j’en ai vues en Belgique. Bref dans une société nouvelle fondée sur les valeurs supérieures qui peuvent être vécues uniquement dans des petites structures, dans tous les domaines de la vie sociale et économique. Ce choix permettra ainsi de relier l’habitat et le travail dans des zones de biodiversité non seulement naturelle, mais aussi sociale, créant partout de l’animation, de la convivialité et de la solidarité plutôt que de l’individualisme, de la peur et de l’enfermement. Un nouveau monde est à créer et à promouvoir. A recréer peut être, mais différent, en favorisant l’exode urbain cette fois-ci, mais dans des zones revitalisées où ne règne plus la monoculture de rente pour la gloire de notre agriculture dont la surproduction exportée à bas prix déséquilibre l’économie de peuples pauvres et favorise la faim des petits paysans appauvris. Nous vivons aujourd’hui dans un monde à la fois cloisonné et interdépendant. Le choix d’une civilisation solidaire ici et entre les nations apparaît urgent. Notre façon de vivre ne pourra qu’en être améliorée en qualité dans tous les domaines. En se réappropriant les moyens de production avec les nouvelles techniques pour reformer des emplois et relocaliser les activités productrices, nous pourrons nous inspirer des formes d’habitat ancien pour les remettre en valeur avec l’aide des sciences humaines, réconcilier et rapprocher lieux de vie et lieux de travail. Non, ce n’est pas de l’utopie, c’est la tendance que l’on voie se dessiner aujourd’hui. Nous pouvons rêver l’avenir d’une façon plus claire et lumineuse si nous ôtons le fatalisme de notre esprit en se passionnant pour les réalisations nouvelles qui vont dans le bon sens. Chacun de nous peut commencer par de petites choses; la civilisation est en marche et il s’agit aujourd’hui de savoir prendre le tournant qui s’impose.

Ignace Pittet.



LES ZONES HUMIDES

Je me souviens très bien de la leçon de mon professeur de sciences naturelles dans les années soixante. Il nous disait : « C’est une grande erreur que d’avoir asséché tous les marais ». A ce moment-là, il existait encore un petit marais au bas de notre village, à la limite de notre petite ville voisine. Il est devenu un champ de culture maraîchère. A ce moment-là chacun avait son jardin qui suffisait pour ses besoins. Pourquoi avoir transformé les marais ? Aujourd’hui, on ne parle plus de marais, mais de « zones humides » à préserver pour la biodiversité. Mais que reste-t-il de la diversité de faune et de flore qui existait autrefois ? Dans le petit marais de mon enfance, je me souviens que nous n’osions nous aventurer à l’intérieur. Ce lieu peuplé de roseaux était le domaine des grenouilles, des tritons, des oiseaux de passages, mais je ne me souviens pas des moustiques…Ce n’était pas du tout une zone pestilentielle rempli de coassements nocturnes comme on décrit les marais et les étangs d’autrefois. Il nous reste un agréable petit étang au pied du village d’Avallon à Saint Maximin, mais il s’agit peut-être d’un millième de toutes les zones humides qui existaient dans la région, sur les contreforts de Belledonne ou de la Chartreuse et surtout dans la plaine de l’Isère. Ce qu’on nomme zones humides sur les territoires du Cheylas ou de Crolles ou ce qu’on appelle toujours les Marais de Monfort ne sont qu’un pâle reflet de la nature telle qu’elle se trouvait anciennement « à l’état naturel ». Au cours de ma longue marche de trois mois à travers la France et la Belgique, j’ai pu réfléchir sur la situation de la nature aujourd’hui. J’ai traversé par exemple la zone humide du sud de Cambrai, un domaine de 80 hectares racheté par la commune pour la préservation de la nature. Sur l’un des panneaux d’information on précise qu’il s’agit d’un centième seulement de l’étendue d’autrefois. Quant aux roseaux et aux étangs, quelle misère ! Un autre panneau indique le rôle essentiel des zones humides: 1° la préservation des inondations du fait de la rétention d’eau par les étangs et surtout par les marais agissant comme des éponges, 2° le rôle de purification de l’eau par les roseaux qui emprisonnent dans leurs racines et transforment les impuretés et matières néfastes à la santé ; de vraies stations dépuration naturelles ; 3° le fait de favoriser la biodiversité.

Chassez le naturel, il revient au galop : Ce qui a été détruit pendant des siècles ne reviendra pas aussi vite que l’affirme ce dicton. Cependant, l’écologie nous apprendra, espérons-le, à reconnaître les bienfaits de la nature et à mieux les utiliser dans l’aménagement du territoire et l’amélioration de notre vie. Ignace Pittet